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Attention âmes sensibles s’abstenir !

Je crois que le moment est venu de vous partager ce texte que j’ai écrit sur l’une des scènes les plus dure de mon existence… La dépression de ma maman quand j’avais 14 ans et particulièrement son réveil après une cure de sommeil dans un hosto, enfin un HP qui à cet âge me semblait tellement lugubre…

Il se trouve qu’hier, j’ai raconté à un ami ce moment de ma vie sereinement et aujourd’hui ça me travaille ! J’ai pensé que le partager avec vous serait positif. Bon, bien sur c’est pas rigolo rigolo, je vous l’accorde mais ça fait parti de ma vie et pour ceux qui vivent ou ont vécu cette expérience, ça peut-être faire sens.

Je crois que je n’ai pas pris la mesure de l’impact qu’a eu cet évènement traumatisant sur ma vie, mes relations aux autres et surtout l’image de moi. A 14 ans, c’est l’âge où l’on construit l’image de la femme en devenir à partir de celle que nous avons de nos mères en particulier et des figures féminines autour de nous. La représentation que j’avais devant moi était si dégradante, si catastrophique, que forcément cet évènement a influencé ma vie de femme. De plus, à l’époque la seule réaction que j’ai pu avoir face à cette maman couchée en permanence qui pleurait tout le temps était négative : je ne comprenais pas, c’était incompréhensible. Elle n’était pas malade mais elle ne pouvait pas se lever et elle pleurait tout le temps. Je me sentais abandonnée et j’étais dure. Je partais au collège avec la peur au ventre qu’elle se suicide. Au fond de moi, c’est la rébellion qui s’est installée :  » moi, ça, jamais ! « . Ces réactions ont probablement été salvatrices mais elles ont également ancrée une culpabilité de n’avoir jamais réussit jusqu’à la fin de ses jours à la sortir de cette impasse… même si par la suite en grandissant, j’ai utilisé des méthodes beaucoup plus douce. Et puis, et puis, il faut vous dire que personne, non personne ne m’a jamais rien expliqué, c’était l’époque, le tabou, on ne disait rien ! j’étais là, du haut de mes 14 ans dans ce lieu sordide où portes et fenêtres étaient barricadés et pas un mot ! Je pense que finalement c’est le pire…J’aurais eu besoin que l’on me rassure, que l’on me dise qu’elle allait revenir à elle, que c’était passager, qu’elle était malade, qu’on la soignait, je ne sais quoi mais que l’on m’explique, que l’on me donne juste un peu d’espoir… mais rien, le désert, livrée à moi-même au coeur de ce brasier de souffrance…

J’ai redécouvert la scène du réveil de sa cure de sommeil lors de la seule séance d’art thérapie que j’ai suivi il y a une dizaine d’année. Alors que j’adore la peinture, les couleurs,  je me suis retrouvée totalement handicapée, je n’arrivais à rien faire, à peine à prendre le pinceau dans mes mains et j’ai commencé à gribouiller des trucs horribles, les points, des traits etc.. Ensuite, la thérapeute a éloigné un peu ma production en me demandant de raconter ce que je voyais et soudain l’image à surgit comme ça brusquement, l’image de ma maman se réveillant de cette cure de sommeil…

J’ai compris que jusqu’a là, j’avais tout enfoui… Ensuite, j’ai écrit pour sortir de moi ce fléau, pour intégrer, transformer et avancer… et régulièrement, cette scène remonte en surface avec plus de douceur et de calme. Perso, je n’ai jamais fait de dépression. Peut-être est-ce aussi l’image de mes grands mères qui étaient des femmes fortes et très présentes mais par contre je me suis lancée dès 21 ans dans un travail sur moi soutenu et que je continue encore aujourd’hui. J’ai avancé dans la vie avec cet ombre, ce moteur qui me disait ( ça, moi jamais ! ). Je crois que je peux dire que j’ai appris à donner du sens à ma vie, et ce quelqu’en soit les aléas, les ruptures, les deuils… J’ai appris que la lumière chasse l’ombre mais que sans ombre, pas de lumière. J’ai appris à demander, à remercier, à méditer etc. J’avoue que j’ai toujours ce fantôme qui plane autour de moi et que pendant l’adolescence de mon fis, j’étais très anxieuse… je crois que si rien n’est jamais acquis, rien n’est non plus inéluctable !

 

 

Ma maman. C’était quoi ton rêve, ta cabane dans le ciel ?
Mais où te cachais-tu pendant toutes ces années ?
Sur quelle galaxie avais-tu déposé ta perle sacrée ?
Il est où le chemin pour y accéder ?
Je sèche sur ma page blanche : ton bonheur c’était quoi ?

Vers moi, c’était la proximité, la complicité… La maman copine, celle dont tous les potes d’adolescence rêvaient : « Toi, ta mère elle est cool ! », l’écho résonne en moi de cette phrase tant de fois entendue. Une confidente de tous les p’tits malheurs. Celle à qui l’on raconte qu’on a fumé de l’herbe, fait l’école buissonnière, emprunté la voiture du beau-père absent et traîné dans les bars à pas d’heure. Celle qui console le copain abandonné par sa progéniture à trois heures du matin, qui laisse toujours une place de plus à table pour les amis, sans rechigner et à n’importe quelle heure.
Elle avait tant déposé de silence sur les étagères de sa conscience qu’elle voulait voir tout sortir, tout vivre, tout bouger. Rien ne devait rester calfeutré dans un coin.
Un jour, c’est tout entière qu’elle est sortie d’elle-même ! Elle a voulu vider tous les encombrants, je n’ai plus vu d’elle que d’immenses larmes, un univers tout entier de larmes, le barrage a cédé. Elle a lâché le grand fleuve…
J’ai regardé le courant de son histoire l’emporter, la secouer de rocher en rocher sans pouvoir lui lancer la moindre branche à laquelle elle aurait pu s’accrocher.

Je saute sur ce jour du sortilège maléfique, jeté par je ne sais quelle sorcière un peu trop penchée sur son berceau de naissance: ma mère a plongé dans un sommeil profond… Des jours, des heures, des années, des millénaires… Je n’ai jamais su dans quel donjon l’avaient emmuré les sbires de cette affreuse Cruella mais je me souviens parfaitement de l’instant où elle s’est réveillée…
Rien à voir avec les contes de mon enfance ! Blanche Neige, la Belle au bois dormant, rien du tout…
Pas la moindre trace de prince charmant à l’horizon, la moindre fée dans les parages. Rien qu’un silence de sang rouge et noir dans mon cœur d’ado. L’image brûle, coupe, tranche, blesse les chairs du présent. L’insupportable, le terrifiant visage d’une mère rayée, gommée d’elle-même, elle était là sans elle…
Elle ne me reconnaissait plus, je n’existais plus. J’étais pour elle transparente, livide. Son âme était vide. Les hommes en blancs lui avaient arraché le fluide… Son visage asséché, gonflé, pas épilé, pas préparé ; un liquide blanchâtre sortant de sa bouche me renvoyait une nausée lugubre.
Alors c’était « ça » une maman, une femme, ça devait souffrir comme ça, ça ne pouvait pas être heureuse ?
Du haut de mes quatorze ans, j’aurais voulu seulement mourir, m’endormir moi aussi là, juste à côté d’elle dans ce jardin en perdition.
Ca saignait en moi, j’avais mal, j’ai mal… Ca débordait d’abandon, de douleur, de révolte, d’impuissance. J’ai erré n’importe où dans ce mouroir des âmes demandant à tous ceux qui bougeaient ce qu’ils avaient fait d’elle.
Qu’est-ce que je pouvais faire face à ces dragons gigantesques ? Quelle épée à ma portée aurait pu les anéantir en ce temps-là ?
Aucune, c’est évident. Alors stop ! C’était trop dur. Il fallait éteindre, enterrer, oublier le brasier sinon c’est la terre entière qui allait s’enflammer ! Il ne resterait plus qu’un immense étang désertique embrasé de souffrance.
Enfouir, tout au fond de la mer, sous un sac de pierre, bien lourd, bien arrimé surtout, pour que jamais ce paquet-là ne remonte !
Il semble que malgré toutes mes tentatives, le paquet est là à la surface, percé de toute part. Son contenu s’étale devant moi. Il flotte dans un marécage bouillonnant d’insectes puants.
C’est rude. Je suis tarie, minuscule comme une fourmi. Je dois avoir le teint blanchâtre, les pupilles retournées.
C’est là que j’aurais dû aller, c’est ça la vie… Pas dac’, remboursez ! Changez le paquet, la combinaison génétique, ce que vous voulez, mais NON ! Une tempête, un ouragan de « non », ça jamais, ils ne m’auront pas ! Un « non » pointu, écrasant, brûlant, qui gicle, explose, secoue, anéanti, creuse….Un « non » tout au bord de la falaise qui préfère se jeter dans le vide plutôt que d’accepter le moindre compromis avec les hommes en blanc. Un «non » d’adolescente blessée qui recule, freine de toutes ses forces, emprisonne l’énergie dans une cage de verre illusoire, isolante, rassurante.
Ici, c’est beaucoup mieux, dans cet espace si étroit, dans le placard à balai des soirs d’orage, dans le ventre de la terre mère, dans la nuit ovale, paisible…
On y trouve le vent chaud de l’autre, d’elle, ma maman, avant que le maléfice ne vienne la prendre, de lui, ce papa « insoumis » et des autres là-haut. Aussi une maison, un jardin, une fleur insouciante, puis l’oubli, les amis, l’amoureuse qui pousse sur ces terres asséchées de vide, s’abreuve aux sources primales de la blessure, de l’absence, recherche la fusion ancestrale, l’enveloppe, le contenant, encore et toujours, toujours et encore…..

Que puis-je pour elle, pour moi maintenant qu’il est là le paquet, que le mélange de couleur, le pinceau l’a révélé en jetant sur la page blanche un gribouillis immonde de son portrait ressemblant à ce jour-là…
Ca déménage, ça fait de gros trous partout, au cœur surtout. L’orage est si violent…
Rester tranquille, ne pas trop bouger, chercher tout au fond le son, l’image, le chant, la goutte de soleil… Laisser les brumes opaques me porter. Quand on vogue sur une mer déchaînée, à quoi bon chercher à s’agripper, c’est le néant ici, rien qui ne vaille la peine de s’attarder sous peine de perdre le peu d’énergie qu’il me reste.
Une seule alternative : reprendre… Appeler la fée, une de ces grand-mères éternelles rencontrées au début du voyage, celle qui détient forcément l’antidote, le contre sort. De toutes mes forces je demande son aide. Elle est là j’en suis sure. Elle est toujours là quelque part. Vient me rejoindre belle dame…
Donne-moi une autre couleur, un nouveau pinceau de soie pour sentir s’étaler les courbes bleu profond, les points de soleil, les fonds terre de Sienne réparateurs. Pour me peindre avec elle, ma maman, juste là, dans le creux de son sourire retrouvé, dans le profond de son cœur, pour m’approcher doucement.
Donne-moi l’eau de jouvence pour laver les taches, les traces du passé sur son corps, dans mon corps.
Donne-moi des bras gigantesques, mille bras de déesse pour entourer, cajoler, caresser la plaie, poser mes mains.
Puis aussi nos jolies robes de fête pour les enfiler et se lever, sortir, marcher vers l’infini, vers la terre fertile, l’aube. Regarde, ils sont là, leurs astres pointent à l’horizon, le jardin s’éveille, le vieux chêne se relève, les mauvaises herbes se désintègrent, tu vas te déplier.

Donne-moi le sens… Le sens de ma présence ce jour-là au chevet de sa descente des gorges les plus profondes. Chut… Le sens…

Retourner à la source, la caverne fœtale pour y puiser l’énergie, la force vitale du « non », la déposer délicatement dans le chaudron de la transmutation. Faire bouillir, revivre, remâcher puis modeler, poncer, arrondir, vernir ce « non » pour que peu à peu il se transforme comme la pierre coupante polie par la mer devient galet de plage…
C’est le même « non » rajeuni, parfumé, dégagé de ses pointes qui a fait naître en moi la force, le sens de regarder vers la beauté des mots, là où le torrent se calme, où le cliquetis de l’eau devient douce mélodie méditative. Le « non » qui se dénude pour laisser apparaître délicatement le « oui » limpide. Le « oui » au futur, à la femme en devenir…

Et vous, comment avez vous gérez les évènements traumatisant de votre enfance ?