En ce jour de pleine lune : la femme

Un texte écrit il y a un petit moment déjà qui fait partie de ma grande oeuvre de 300 pages « dans une chambre secrète  » et que j’ai envie de vous partager aujourd’hui. Cet aujourd’hui qui me fait toucher du doigt une toute autre réalité sur l’amour, la femme, l’homme et la sexualité…

Etre femme

A vous mère et grands-mères. Retournons pour un moment dans l’intimité de vos cuisines… Ne sentiez-vous pas l’éveil qui se produisait en moi quand, le nez à la hauteur de vos tabliers, je recevais l’offrande : thym, romarin, basilic et cumin se donnaient la main pour s’envoler de ces mets succulents que vous prépariez. L’envie, en moi, palpitait de vous ressembler. Je vous voyais reine ! 

Mais à l’instant d’offrir ce festin à la table familiale, un venin s’échappait de je ne sais quel espace carcéral. A l’instant d’être heureuse, une force invincible anéantissait le joyau. Il ne restait qu’un plat rance, un tas d’immondices polluant notre histoire que vous déposiez, vous, les femmes sur la terre des hommes. Ca sentait mauvais. C’était laid. Une flaque gluante et castratrice gisait sur le monde. Dans mon cœur, un incendie dévastait le jardin opulent de la femme en devenir.

Dans le reflet de vos miroirs de salle de bain, je m’enivrais de vos parfums : crèmes, rouges à lèvres, fonds de teint et rimmel embrasaient en moi les premiers fruits sensuels. Je vous voyais belles. Mais quand je vous croisais un instant plus tard dans le couloir, un maléfice semblait s’être emparé de vos délices. De vos sinistres visages, sortaient ces cris perçants de reproches versés sur vos maris résonnant jusqu’au fin fond des cavernes sauvages. Dans mon ventre, une source-douleur éteignait la chaleur de mes futures ardeurs.

Tant de fois, je vous ai vu mordre comme un chien enragé, écraser la beauté du silence, vomir la légèreté et le rire du vent, séquestrer la lumière du soleil. Tant de fois, j’ai senti le spectre de la mort se profiler autour de vous, enrober vos hommes… 

Ces hommes si rassurants, si bons pour moi. Je ne comprenais pas…

Moi, je les aimais ces hommes. Et vous aussi, je vous aimais. Chacun et chacune à sa manière incrustaient en moi la semence de mon souffle futur…

De tout mon amour, je voulais nettoyer, adoucir. Je voulais réparer, broder, embellir. Je voulais lire entre les lignes, les paroles réconciliatrices, capturer les chants silencieux de vos cœurs. Murmurer à vos oreilles le bonheur.

Ma présence dans vos quotidiens semblait quelque peu alléger le fardeau, je comprends qu’il se déversait sur mon dos. Et l’araignée tissait sa toile en moi, bloquant le passage vers la source d’énergie créatrice. Elle inoculait son poison qui subrepticement s’infiltrait. A chaque tentative de résistance, ses yeux vengeurs me harponnaient : « Attention aux hommes, attention aux hommes ». Ainsi, le pacte de réconciliation implicite conclu avec les hommes de mon enfance devenait un écho de plus en plus lointain…

Bien sûr les gourmandises savourées dans l’intimité de vos cuisines et salles de bain ne pouvaient totalement dépérir. Elles étaient là, recluses dans le double fond d’un placard verrouillé comme le paquet de bonbons qui ne voit le jour que pour les grandes occasions.  

J’ai donc moi aussi gigoté dans les cuisines, pataugé dans les salles de bains, excellé dans l’art culinaire… J’ai fait tout cela comme vous me l’aviez enseigné : sans jamais le vivre ! A l’instant de jouissance, quand le trésor était à portée de main, je devais marcher dans vos traces, me battre contre mon propre amour, oublier les rois de mon enfance, prendre d’assaut les palais somptueux dans lesquels ils m’avaient accueillie… Je devais revêtir à mon tour la panoplie de l’amazone chevauchant les plaines asséchées du grand ouest les armes à la main, l’araignée dans le cœur, pour affronter l’homme… Cet homme qui semblait vous avoir fait tant souffrir en son temps. Ce bourreau inconnu. Ce cocher d’un autre siècle dévastant cœurs et âmes… Je devais me jeter dans la gueule du loup et remporter votre bataille.  

Je suis arrivée à destination. L’objectif ultime de votre enseignement. Surtout ne pas dépendre des hommes. 

Sinistre victoire…

J’ai du raté une leçon… Mal enclencher un réacteur… tourner le mauvais bouton… Choisir le mauvais pion…

J’ai trébuché…

Pourtant comme envoûtée par votre enseignement, j’ai malgré tout rebondi dans ce nouvel espace : je me suis goinfré de solitude, une profonde nausée d’abord puis j’ai fait l’amour avec elle…

J’ai assumé tout : enfant, vidange de voiture, crevaison et chantiers divers et gare à celui qui aurait voulu seulement changer une ampoule…

J’ai écrit. Me suis soumise aux mots. Une boulimie artistique. J’ai découvert les splendeurs du talent. La saveur des compliments. La couleur des plaisirs charnels, enivrants. J’ai apprivoisé le temps. J’ai été la meilleure. J’ai donné à l’homme un peu loin de moi… Réparé ces années de guerre… Offert un amour, une reconnaissance profonde sans attente… Je suis entrée en moi bien profond, toute seule, comme jamais aucun homme n’aurait pu le faire…

Et je découvre aujourd’hui cette femme que je suis, imprégnée de votre beauté que je veux transporter au-delà de moi-même qui côtoie l’amazone enrubannée de vos silences hurlants, de vos sommeils noirs que je veux vous rendre…

J’aime les hommes qui hier m’accompagnaient plein d’attention sur les marches de mon enfance… J’aime celui d’aujourd’hui qui réveillent ses fondations…

Ainsi au cœur de ma chambre secrète, je découvre toute fragile de forces neuves, la femme… la femme qui se lève, sort du placard, de l’armoire, pas pour prendre les armes cette fois non, pour les déposer…

Pour vous rendre ce fardeau, ce poids des mots. Cette conscience coupable d’aimer et d’être aimée par ces hommes que vous méprisiez. Cette déclaration de guerre signée sans procuration et léguée par vous à mon insu qui m’a renvoyer sans détour sur les ruines fumantes de votre lignée. 

Dans le reflet de mon miroir, dans l’intimité de ma cuisine, je cueille la perle de rubis dans le noir, trésor de ma féminité, dévoilée…

Je l’autorise peu à peu à entrer en moi. J’ose la laisser faire jusqu’au bout sans intercepter le flux de son énergie aimante et sensuelle. 

Je peux sentir la jouissance, le plaisir orgasmique d’offrir à moi-même d’abord puis à l’homme ce luxueux cadeau…

Etre femme… 

Je dépose un carré de tissu blanc devant chacune d’entre elles. Le silence est d’or. Seul le vent vient caresser nos visages. Elles m’ont écouté. Je ne sais pas si elles m’ont entendue, mais peu m’importent…   

Et pour vous, c’est quoi  » être femme » ?